Conférence « Numérique à l’école : progrès ou régression ? » avec Andreas Schleicher (OCDE)
Le 20 janvier 2022, RUNE organisait une conférence gratuite à Uni Mail intitulée « Numérique à l’école : progrès ou régression ? » en compagnie d’Andreas Schleicher, Directeur de la Direction de l’éducation et des compétences au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Celui-ci est revenu sur les compétences fondamentales que les enfants d’aujourd’hui devront maîtriser dans le monde de demain, qui ne se développent pas forcément par le biais du numérique. La dernière étude PISA qu’il a supervisée montre qu’ajouter de la technologie en classe ne crée pas de meilleurs résultats.
Si l’usage de la technologie peut être bénéfique dans certains cas, il demeure fondamental de réfléchir à comment la déployer et à porter l’attention sur l’apprentissage plutôt que la technologie. Il rappelle notamment le fait que les jeunes enfants « sont aveuglés par le numérique » et oublient les objectifs de leurs activités lorsqu’ils sont sur tablette.
Résumé de la conférence
Selon Andreas Schleicher, la technologie est un accélérateur, qui amplifie à la fois les bonnes et les mauvaises pratiques. Il est donc important de développer des capacités permettant aux élèves d’évoluer dans un monde complexe, alors que les technologies se développent plus vite que les capacités humaines à les maîtriser.
Construire les connaissances
Avec le développement des technologies, la reproduction du savoir devient moins importante. Alors que « Google sait tout », on n’est plus tant récompensé par ce que l’on sait, que par ce que l’on peut faire de ce que l’on sait. A cet égard, savoir utiliser ses connaissances de manière créative devient prépondérant.
Depuis 20 ans, le virtuel a commencé à s’intégrer dans le réel. Pratique pour de nombreux aspects de nos vies, il pose toutefois une nouvelle difficulté : celle de distinguer le vrai du faux. Il nous faut désormais passer d’un monde où il nous fallait extraire les connaissances, à un monde où il faut les construire.
L’éducation aujourd’hui
Pas d’influence positive des technologies dans l’éducation
On assiste depuis 20 ans à une importance croissante des technologies dans l’éducation. Toutefois, selon la dernière étude PISA (2018), cela n’a pas eu d’impact positif dans l’évolution des capacités des élèves (14 :20). Au contraire, seuls 47% des élèves de 15 ans des pays dits riches sont capables de distinguer de manière fiable un fait d’une opinion, élément pourtant déterminant à comprendre lorsqu’on expose des jeunes à la technologie.
Connaissances passives vs réflexion et action
Andreas Schleichter insiste aussi sur la différence entre les connaissances passives et la capacité d’action concrète (15 :20). Il déplore un système éducatif devenu très linéaire, qui amène à enseigner beaucoup de faits et de chiffres de manière superficielle. Alors que les jeunes sont conscients et concernés par les grands défis de notre monde, il note que le nombre de ceux qui estiment pouvoir agir sur leur environnement pour changer les choses a tendance à se réduire fortement.
Selon lui, le défi de l’éducation n’est pas d’enseigner plus de matières, mais d’approfondir davantage les connaissances, d’enseigner la réflexion et de renforcer les capacités d’action plutôt que la consommation passive de connaissances.
L’éducation de demain
De nouveaux défis sont à relever dans le monde de l’éducation avec la numérisation de la société. Pour bien s’y préparer, Andreas Schleicher relève 4 types de compétences essentielles à développer (25 :34) :
- Le raisonnement complexe (et de manières interdisciplinaire et épistémique)
- La créativité
- Les compétences socio-émotionnelles
- La perception sensorielle
Certains types de matières enseignées mais pas toujours valorisées (comme l’art ou le sport) permettent pourtant aux élèves de développer leur créativité, leur empathie ou leur coopération, compétences pourtant clés aujourd’hui.
Andreas Schleicher souligne aussi l’importance de la relation tissée entre les élèves et les enseignants (32 :00). Les systèmes éducatifs les plus performants sont ainsi ceux qui proposent moins d’heures en classe et davantage de temps partagé avec les enseignants hors du contexte purement scolaire, afin de renforcer le sentiment d’appartenance et les connaissances personnelles entre élèves et enseignants. Dans cette optique, il est important de se demander si les technologies encouragent ou, au contraire, sont un frein à ce type de relations. Quoi qu’il en soit, dans un contexte de numérisation de l’école, il devient nécessaire de considérer comment les relations entre élèves et enseignants peuvent être renforcées avec la technologie.
Technologies et apprentissages
Présente mais pas visible
Si la technologie peut être utile dans certaines situations, elle devient un problème lorsqu’elle interfère dans les apprentissages. Selon Andreas Schleicher, la meilleure technologie est celle qui est présente sans être visible (37 :55). Il cite ainsi l’exemple de la Chine, très stricte en matière d’usage du numérique en raison des risques liés à l’exposition des enfants, qui utilise un système de scanner intégré aux bureaux des élèves pour permettre aux enseignants de détecter les erreurs en calligraphie.
Relation vs transaction
Il est important de comprendre que tout apprentissage dépend de la relation avec l’enseignant, comme l’illustre une étude menée aux USA sur des enfants de 5 à 6 ans, amenés à apprendre le chinois avec le même professeur. Les uns ont suivi des cours dans une classe équipée numériquement et les autres dans une classe sans recours aux technologies. Au bout de plusieurs semaines, il s’est avéré que les enfants de la première classe, fascinés par les outils, n’avaient pas appris la langue, au contraire des seconds.
Andreas Schleicher pointe également le risque d’un apprentissage plus schématique et une tendance à déresponsabiliser les enseignants.
En conclusion
Pour conclure, Andreas Schleicher rappelle que la pédagogie doit être au centre de l’approche des enseignants. Il est donc indispensable de porter davantage l’attention sur les apprentissages et non la technologie, surtout lorsque les enfants sont jeunes. Ces derniers oublient en effet les objectifs de leurs activités lorsqu’ils sont sur tablette. L’intervenant souligne ainsi que si le numérique a été utile aux élèves d’âge du lycée/gymnase lors de la pandémie du COVID, il a été impossible d’y avoir recours efficacement pour les élèves du primaire et de maternelle, chez qui la technologie « prend le dessus » : « Les enfants sont aveuglés par le numérique » (47 :40).
Il est également nécessaire de trouver un équilibre, en mettant l’humain au centre de l’apprentissage : est-ce possible de développer des compétences relationnelles et émotionnelles dans un environnement totalement technologique ? Selon Andreas Schleicher, il faut réfléchir à des combinaisons et au fait que les appareils doivent être moins visibles.
Enfin, il est prépondérant de réfléchir à la manière dont les élèves apprennent et d’utiliser ces données pour savoir s’il est utile et comment déployer les technologies.
Andreas Schleicher
Andreas Schleicher est Directeur de la Direction de l’éducation et des compétences au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il a lancé et supervise le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) ainsi que d’autres instruments internationaux formant une plateforme mondiale permettant aux décideurs, aux chercheurs et aux éducateurs d’innover et de transformer les politiques et les pratiques éducatives.
Il collabore depuis plus de vingt ans avec des ministres et des dirigeants du secteur éducatif partout dans le monde pour améliorer la qualité et l’équité dans le domaine de l’enseignement. Le ministre américain de l’éducation, M. Arne Duncan, a dit de lui dans le magazine The Atlantic (7/2011) qu’il « comprend les défis et les enjeux mondiaux aussi bien, sinon mieux, que quiconque, et il me dit la vérité ». Le Secrétaire d’État britannique, M. Michael Gove, désigne Andreas Schleicher comme « l’homme le plus important dans le secteur éducatif anglais », même s’il est Allemand et qu’il vit en France.
Avant de rejoindre l’OCDE, il était directeur de l’analyse à l’Association internationale pour la réussite scolaire (AIE). Il a étudié la physique en Allemagne et a obtenu un diplôme en mathématiques et statistiques en Australie. Il a reçu de nombreux prix et distinctions, notamment le prix « Theodor Heuss », du nom du premier président de la République fédérale d’Allemagne, pour son « engagement démocratique exemplaire ». Il est également professeur honoraire à l’Université de Heidelberg.