« A force de sacrifier l’essentiel à l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. »
Edgar Morin (Philosophe et Sociologue)
L’État doit-il financer l’équipement des écoles primaires en tablettes numériques, tableaux blancs interactifs et réseaux sans fil alors que la plus-value pédagogique de l’enseignement par le numérique n’est aucunement démontrée ?
Que dire du coût économique et écologique, et des atteintes à la santé des enfants ?
Nous demandons donc un moratoire
sur la formation par le numérique à l’école primaire.
École numérique: quelles plus-values pédagogiques?
Pour centrer le débat, la nécessité de la formation au numérique n’est ici pas contestée, bien au contraire.
Sensibilisation aux usages, aux réseaux sociaux, à l’intégrité numérique, à la fiabilité des informations, etc. sont autant de sujets essentiels qui peuvent être traités à l’école primaire sans que les élèves disposent d’une tablette. L’apprentissage de l’informatique dans l’enseignement secondaire I et II n’est également pas remis en cause.
La plus-value pédagogique de l’« école numérique » n’est pas démontrée, comme l’a relevé une étude diligentée par l’OCDE en 2015 dans le cadre du programme PISA. Cette étude révèle même, quant à l’impact des investissements numériques, que « les pays qui ont le plus investi sont ceux qui ont vu les performances de leurs élèves diminuer le plus sévèrement ». « Les résultats sont identiques pour la lecture, les mathématiques et les sciences ».
Ecole primaire et fracture numérique
Dans ce même rapport OCDE/Pisa 2015, on peut lire que les nouvelles technologies à l’école ne sont pas d’un grand secours pour combler les écarts de compétences entre élèves favorisés et défavorisés. Plus le niveau socio-économique est bas, plus le numérique s’installe dans la chambre des enfants. Le problème ne situe donc pas au niveau de l’accès aux outils numériques.
Usages des écrans et santé des enfants
Les atteintes à la santé en lien avec l’utilisation répétée des écrans sont multiples : fatigue oculaire, diminution de la vue (myopie), baisse de la concentration, moral affecté, incertitudes sur la nocivité électromagnétique des réseaux sans-fil, etc. À l’occasion de la publication de sa nouvelle Classification internationale des maladies (CIM-11) en 2018, l’OMS a officiellement reconnu l’existence de l’addiction aux jeux vidéo (gaming disorder) et évoque des « troubles d’usage d’Internet et de dispositifs similaires ».
Coûts économiques et écologiques des outils numériques à l’école primaire
Est-ce que l’école doit favoriser l’usage d’écrans portant atteinte à la santé des enfants ?
Les outils numériques ont un coût élevé d’investissement initial, de maintien et de renouvellement : achat du matériel, des logiciels, connexions internet, etc. S’y ajoute le coût de formation, le temps passé par les enseignant-e-s et le suivi du personnel technique informatique pour régler les bugs et autres dysfonctionnements fréquents.
L’allocation des ressources est également un aspect préoccupant. L’État souhaite-t-il imposer l’acquisition de connaissances numériques à tous les enseignants et enseignantes au détriment d’autres compétences : connaissances en lien avec les matières dispensées, pédagogie employée, compétences relationnelles, etc. ? Les enseignant-e-s ne peuvent pas tout faire.
Le coût de la numérisation de l’école n’est pas qu’économique, il est également écologique. Métaux rares provenant de mines très polluantes, consommation d’énergie (data centers), faible durée de vie des outils numériques et problèmes de recyclage. Les manuels papiers ont une empreinte écologique bien plus faible à tous les niveaux : production, durée de vie et recyclage.
Selon ce projet, les enseignant-e-s devraient répondre à des injonctions contradictoires : enseigner par le numérique et promouvoir le développement durable.
Se pose encore les questions de l’intégrité numérique, de la sécurité des données, de l’intrusion d’acteurs économiques privés dans la sphère éducative. L’État doit-il par exemple utiliser les deniers publics pour acheter des services de plateformes d’échange, courriel et logiciels divers, de Microsoft, ou de Google, comme c’est déjà le cas dans le secondaire I et II avec « Classroom », alors que l’on connaît les objectifs de récolte massive de données visés par ces grands groupes ?
La numérisation de l’école (primaire) est une question qui mérite réflexion et précaution, qui doit être discutée et pensée à un niveau politique et sociétal. L’urgence est piètre conseillère. Une analyse méticuleuse doit être réalisée afin que les décisions soient prises de manière éclairée.